Sur-efficience, déficience intellectuelles et société

Suite à une très intéressante discussion lors d’un déjeuner hier, je vous propose dans cet article quelques éléments de réflexion sur « comment expliquer ce décalage de la société sur cette question de la « douance » ? Quelles peuvent être les pistes à creuser pour mieux comprendre cela ?

Un tel sujet est, comme vous vous en doutez, pluriel dans les pistes à parcourir car il y a intrication d’enjeux, d’attendus, d’objectifs, d’éléments « explicatifs »… aussi voici « pêle-mêle » plusieurs idées que je vous soumets (chacune d’entre elles mériterait à elle-seule un long développement – et cela est prévu dans d’autres billets à venir) :

  • Première idée  :
    le contexte historique de la production des “outils psychotechniques” et des échelles d’intelligence !

Les réflexions sur les tests ont commencé avec la seconde moitié du XIXe siècle : la psychologie cherchait à l’époque à se donner une légitimité scientifique (travaux de F. GALTON et ensuite de J. Mac Keen CATTELL). Il s’agissait au départ d‘utiliser des méthodes quantitatives pour décrire des phénomènes psychologiques. Ensuite, fut utilisé pour la première fois le terme de “test mental” pour désigner une série d’épreuves visant à étudier les différences individuelles d’étudiants. Ces premières épreuves étaient destinées à mesurer des fonctions sensori-motrices élémentaires, telles que la perception, la sensation de la douleur ou encore le temps de réaction

Au début du XXe siècle, il y a le développement de la première échelle d’intelligence pour enfants par A. BINET. Le test d’Alfred Binet proposa pour la première fois une application pratique des tests dans la détection du retard mental chez les enfants etla prédiction de la réussite scolaire. En 1916, Terman utilisa les travaux de Binet et construisit le premier test d’intelligence mesurant le QI (Quotient Intellectuel).

Avec les deux conflits mondiaux, les tests se développèrent réellement (ainsi en 1917, l’armée américaine les utilise pour recruter ses soldats et sélectionner les futurs cadres mais également identifier les personnes sérieusement perturbées psychiquement).

Avec le développement de l’industrie, ceux-ci étaient conçus, dans le monde du travail, à “apprécier” la “concordance “homme – machine” ou plus simplement connaître la capacité de l’homme au travail à la chaîne, sa capacité à suivre un rythme imposé, à comprendre des consignes “élémentaires” et de faire, sous contrainte de temps, un certain nombre de tâches / gestes répétitifs…

Une digression : le travail est “obscur” par définition et il est difficile de rendre transparent la fameuse “boîte noire” (ou plus simplement le travail réel effectué par une personne sur son lieu de travail, dans son son activité professionnelle, au-delà du travail prescrit).

On est donc ici bien éloigné de l’intérêt pour une efficience intellectuelle mais dans la détection de la déficience !

  • Deuxième élément (et rappel) :

L’intelligence était étudiée sous l’angle des capacités cognitives, verbales… et appréciée sous la forme du “fameux” Quotient Intellectuel” ou QI et donc sous un angle réducteur omettant l’intelligence émotionnelle, l’intelligence de situation / d’adaptation… bref, tout ce qui différencie l’homme d’une machine et le rend supérieur à l’IA qui, dans l’immédiat, est bien incapable de ressentir, exprimer une sensation, une émotion, un sentiment. Par ailleurs, il s’agit de discriminer les individus, de travailler sur la « prévention du retard intellectuel », pas d’accompagner ceux dont les capacités sortiraient du lot et qui les « désignent » comme parfaitement capables de se débrouiller tous seuls ! Un article à venir : les robots qui commencent à être utilisés dans certaines entreprises sur des fonctions d’accueil…

  • Troisième élément :

Dans le domaine scolaire, l’accent est d’abord et principalement mis sur le « dépistage » de la déficience intellectuelle, pas celle de la sur-efficience !

  • Quatrième idée proposée :

Le contexte historique et le parcours “chaotique” par lequel sont passées les générations précédentes (parents, grands-parents, arrière-grands-parents) : quand les familles se sont trouvées séparées, dispersées le temps des différents conflits (WW I et II en particulier), la « douance » était le cadet des soucis (d’autant plus que ce n’était ni un sujet connu ou traité et encore moins un sujet à la mode !) et combien de personnes ont dû se construire “seules”, en apprenant à maîtriser, apprivoiser voire enfouir leurs sensibilité / émotivité… pour vivre ou sur-vivre… En l’absence d’un environnement aidant, ils sont passés sur certaines de leurs dispositions naturelles (mécanismes de défense sur-développés) pour utiliser ce qui leur permettait de s’adapter dans le monde qu’ils connaissaient. Ils n’ont donc pas le réflexe de penser à une telle possibilité existante chez leur “progéniture” !

  • Cinquième élément  :

Le développement progressif d’après–guerre et à l’heure actuelle de la “culture” de masse via journaux, magazines (presse écrite), radio et surtout ensuite télévision qui a permis de véhiculer bien des idées fausses sur l’intelligence, la déficience ou la sur-efficience. Maintenant le principal vecteur est internet avec ce foisonnement de sites en tout genre traitant de ces sujets.

  • Sixième élément :

Celui-ci résulte des deux idées précédentes : pour des personnes n’ayant pas une culture familiale des études, sur un phénomène d’autocensure, elles ne pensent pas être éventuellement concernées par une possible surefficience. Pour elles, l’intelligence est considérée comme réelle, présente et non réfutable quand “on” poursuit des études. Ainsi, du fait d’une minorité de personnes allant aux études supérieures, celles-ci étaient “cataloguées” comme intelligentes voire dotées d’une intelligence supérieure alors qu’elles n’avaient pas passé le fameux test de QI !!!!!!!!!! Les capacités se traduisent et se « prouvent » par une réussite entre autres dans les études et filières scientifiques (la fameuse sélection par les mathématiques !).

Un chiffre en passant : en 2016, toutes générations confondues, 14% de la population française est diplômée d’un niveau supérieur à Bac +2. Il ne s’agit pas d’une critique ou d’un jugement mais juste une info. En parallèle, rappelons nous du poids du fameux Certif d’études, par rapport à 80% d’une classe d’âge avec le bac !!!!

On peut mettre ici les représentations des personnes en fonction de leur parcours de vie, de leur histoire et culture familiale, de leur environnement, lieu d’habitation…

  • Septième élément :

Si on met tout cela ensemble, cela donne de quoi comprendre les difficultés des HP à trouver leur place, à se faire reconnaître…

Les éléments statistiques mis en perspective avec des éléments démographiques, culturels, historiques… permettent de mieux comprendre les origines des préjugés et en particulier pourquoi le choix de mots mal appropriés renforce les difficultés dans un pays qui se veut égalitaire… Pourquoi cette personne est-elle sur-douée et pas moi ?  Pour info, dans les pays anglo-saxons, on parle de personnes « gifted » (douées).  Et il manque bien d’autres choses à prendre en compte !

En effet, on peut mettre également en exergue le modèle sociétal, éducationnel… et la liste n’est pas exhaustive !

Bref, à suivre, à discuter, étoffer, compléter !

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